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« L’histoire d’un quartier patient »

By 04 juillet 2014juillet 11th, 2014point de vue

Lettre ouverte aux habitants du quartier Croix-Rouge, Reims.

Au début, il y avait des grands appartements accessibles en ascenseur, avec des vues généreuses, des espaces publics accueillants et vivants. On se bousculait pour venir habiter là. Les gens se connaissaient et les générations cohabitaient, ça sentait bon le vivre ensemble. Le quartier Croix-Rouge était reconnu comme un foyer créatif pour la ville de Reims. La MJC du quartier, construite dans un ancien château d’eau accueillait et produisait de nombreux musiciens. Puis pendant de longues années, aucun investissement n’a été réalisé, ni par les bailleurs ni par la municipalité, on a regardé les murs s’effriter et les aires de jeux disparaître. La MJC a fermé, cela coûtait trop cher de la remettre aux normes.

Croix Rouge, c’était mieux avant. En 2003, la situation devient critique, l’État décide de soutenir la ville et les bailleurs, bienvenue dans l’ère de la rénovation urbaine. Ensemble, ils réhabilitent les bâtiments les plus visibles. Dans le quartier, on entend souvent qu’ils s’occupent plus des façades que de ce qu’il y a dedans, mais pour une fois, ça bouge. La municipalité aussi travaille dur pour reconnecter le quartier au centre avec une nouvelle ligne de tramway, elle engage des urbanistes qui repensent le stationnement et les jardins, certains bâtiments devant être détruits, d’autres reconstruits. Tout ces choix stratégiques qui décident de l’avenir du quartier sont effectués dans des bureaux, entre les élus et les experts, loin des habitants. Pour parfaire sa mission, la ville souhaite aussi construire de nouvelles infrastructures. Ce quartier de 20 000 habitants est en mal d’équipements sociaux, sportifs et culturels.

Il y a quelques années, le bailleur principal, le Foyer Rémois propose de construire une salle de sport ouverte aux jeunes du quartier. Les plus motivés participent à plusieurs réunions de concertation, ils sont enfin impliqués dans l’aménagement de leur quartier. Mais au dernier moment, le projet est annulé, sans raison valable. Trompés, ils se jurent de ne plus se laisser prendre.

En 2008, la ville arrive avec un grand projet, ambitieux. L’idée est de répondre à des priorités : des nouveaux locaux pour la maison de quartier, une maison de la petite enfance et des locaux pour les associations. En plus de ces aménagements nécessaires aux yeux de tous, ils souhaitent offrir au quartier la possibilité de renouer avec son passé musical. Ils optent pour une salle de spectacle et des studios de musique, ouverts aux différentes formations du quartier et de la ville.

Le bâtiment nourrit l’ambition de mélanger des publics du quartier et d’ailleurs. Pendant près de six ans, des équipes travaillent à l’élaboration de ce projet : les élus, les techniciens, les architectes, les experts en tout genre, mais aussi et surtout toutes les structures du quartier qui y trouveraient leur place. Tout le monde joue le jeu, de réunion en réunion, chacun se projette, les plans du bâtiment sont discutés avec chacun. La ville ouvre « la maison du projet » à proximité du futur équipement, pour que les habitants fassent connaissance avec celui-ci et commencent à imaginer la place qu’ils pourraient y trouver.

Nous-mêmes, Collectif Etc, travaillons pour accompagner l’arrivée de cet espace partagé dans le quartier, justement parce que les temps institutionnels de décision et de réalisation sont trop longs au vu des besoins et des envies déjà existants sur place. À l’été 2013, avec l’aide de quelques habitants nous construisons des structures en bois qui à la fois illustrent le programme du futur équipement et permettent des nouveaux usages quotidiens sur le parking dégradé qui a remplacé les terrains de sport. Pendant deux ans encore nous devions travailler autour du chantier qui allait commencer pour faire pré-exister ce lieu avant son ouverture au public.

Seulement voilà, en mai dernier, la nouvelle mairie annonce officiellement l’abandon du projet. Il ne correspond pas « au besoin de la population« ¹ et il est trop coûteux. Tout était loin d’être parfait, mais tout était prêt. Les plans étaient fixés, les entreprises étaient choisies. La première réunion de lancement des travaux avait eu lieu, tout le monde s’était réuni autour de la table. On parlait d’embaucher des gens du quartier, on parlait de faire du chantier un acte culturel, de l’ouvrir, de recycler ses matériaux pour fabriquer du mobilier, on parlait de travailler avec le lycée situé juste en face pour co-construire une partie des aménagements intérieurs, on parlait de programmer des concerts au beau milieu des machines pour faire exister ce lieu au plus vite. On apercevait une vraie collaboration possible entre les services d’aménagement, de la politique de la ville, et de la culture.

Les conséquences de cette surprenante décision sont lourdes. Les habitants se méfiaient de ce projet trop ambitieux, il sont une fois de plus abandonnés. Avec la « salle de spectacle », qui a été la partie la plus médiatisée et critiquée, c’est toute une structure socio-éducative qui disparaît : les locaux de la maison de quartier tant attendus, une crèche et des moyens pour dynamiser le tissu associatif local. Les travailleurs sociaux qui se sont investis, tous ceux qui avaient proposé leur point de vue et attendaient de faire vivre cet équipement sont déjà oubliés. Ils n’y mettront certainement pas autant de cœur la prochaine fois. L’architecte et les entreprises de BTP avaient sûrement embauché du monde pour assurer ce chantier. Les techniciens de la mairie, ceux qui ne changent pas tous les cinq ans, ont porté et défendu ce projet pendant plusieurs années. Comment peuvent-ils à présent comprendre et soutenir que c’était une erreur ? Des jeunes ont entendu dire que la ville travaillait en ce moment même sur une salle de sport, celle qu’on leur avait promis quelques année auparavant. Ils n’y croiront que quand ils auront les clefs. Les élus, seuls et uniques responsables de cette situation, viennent d’arriver. Il semble qu’ils fassent juste un peu de ménage dans les dossiers pour se lancer dans leur programme tant attendu. D’ici peu, ils commenceront à préparer leur réélection, peut-être que dans cette optique ils proposeront quelque chose pour Croix Rouge ?

Considérés comme des objets de communication, les modules en bois que nous avions construit ensemble, pourtant utilisés et respectés depuis plus d’un an, doivent être évacués. Pour éviter qu’ils ne finissent à la déchetterie, nous avons obtenu qu’il trouvent une nouvelle vie sur l’espace chapiteau du Temps des Cerises grâce à l’association T.R.A.C. (Toutes Recherches Artistiques et de Création).

Cette mauvaise expérience pose de réelles questions de gouvernance. Il faut absolument repenser la démocratie locale pour que des projets de cette envergure ne soit pas soumis aux fluctuations politiques municipales. Comment faire en sorte qu’un projet soit réellement porté par la société civile, et pas seulement par un parti politique au pouvoir ? Que la municipalité soit réellement au service de cette même société civile ? La nouvelle équipe municipale a annoncé que le projet ne correspondait pas au besoin de la population, mais cette décision à été prise par le conseil municipal sans concertation des habitants du quartier ni des acteurs locaux qui l’ont eux-mêmes appris par la presse locale.

Beaucoup de gens s’étaient mobilisés autour de ce projet. Nous avons eu plaisir à les rencontrer et à travailler avec eux : les centres sociaux, les maisons de quartier, le collège Joliot Curie, le lycée Arago, l’AFAM, la Marmite, la Voix de l’Espoir, la médiathèque, bien d’autres associations locales, et surtout les habitants, les jeunes et les enfants du quartier. Auprès de chacune de ces personnes, nous tenons à nous excuser, car nous avons suscité des envies, créé des attentes, et de tout cela il ne sera rien. Nous gardons malgré tout un très bon souvenir de notre passage à Croix-Rouge, de toutes ces rencontres, discussions et moments partagés avec les habitants. S’il fallait encore s’en convaincre, ce sont définitivement eux les vrais acteurs locaux, les plus légitimes,  ceux que l’on n’écoute que trop peu souvent et qui devront une fois de plus faire preuve de patience.

À Marseille, le 3 juillet 2014.

Le collectif Etc.

¹Arnaud Robinet, maire de Reims, L’union-L’Ardennais, 19 & 27 mai 2014

Collectif-Etc-Et-si-on-essayait-pour-voir-20

2 Comments

  • Céline Gruyer dit :

    Merci pour cet article très juste, de la part d’une marseillaise rémoise d’adoption.