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Mobilisations populaires spontanées et politiques publiques urbaines : frères ennemis ?

By 01 février 2017point de vue

Texte écrit par le Collectif Etc en mai 2016 et publié dans le n°48 de la revue l’Observatoire. Ce numéro a été coordonné par Luc Gwiazdzinski et Lisa Pignot, et s’intitutle : Les géo-artistes : nouvelles dynamiques pour la fabrique urbaine.

Mobilisations populaires spontanées et politiques publiques urbaines : frères ennemis ?

« Souhaitez-vous que la ville lance une nouvelle concertation ? » Posée par un journaliste local, cette question a de quoi étonner. Elle est adressée à une assemblée populaire, réunie ce samedi 30 avril 2016 autour de tables de pique-nique, à l’occasion d’une conférence de presse organisée par des habitants et usagers de la place Jean-Jaurès, à Marseille. Car, à elle seule, cette simple question révèle le curieux décalage entre les procédures institutionnelles et encadrées dites « de concertation » et les démarches mises en place par ceux qui pratiquent un quartier et s’y organisent de manière spontanée.

AGITATION DU CÔTÉ DE LA PLAINE

Nous sommes là en plein cœur de Marseille. Considéré comme hautement populaire par la mixité des catégories sociales qui s’y croisent, le quartier de La Plaine[1. « La Plaine » est le nom courant du quartier situé autour de la place Jean-Jaurès, mais qui n’existe pas en tant que tel dans la toponymie officielle.], organisé autour de la place Jean-Jaurès, est depuis de nombreuses années un lieu de sortie nocturne des Marseillais et Métropolitains. Réputé aussi pour son marché tri-hebdomadaire, cet espace aux usages multiples représente, par sa surface, l’un des plus grands espaces publics du centre-ville, après les rives du Vieux-Port…

Or, depuis quelques mois, une contestation s’organise. En cause : le « projet de réhabilitation » de la place, voulu par la Ville de Marseille et qui doit être mis en œuvre par la Soléam[2. Soléam : Société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire marseillaise, au statut de Société Publique Locale d’Aménagement (SPLA).], l’aménageur public opérant sous sa responsabilité.

PLUS QU’UNE BANALE CONTESTATION !

Tout commence par une « fuite » : fin septembre 2015, une pré-étude programmatique de la Soléam arrive sur la boîte mail de l’Assemblée de La Plaine sur le devenir possible de la place, avec une proposition d’intervention déclinée en quatre scénarios. L’ensemble étant chiffré à 11M€, le réaménagement est global sur près de 25 000 m2. Cette Assemblée, sans existence juridique mais réputée depuis de nombreuses années pour l’organisation de son carnaval indépendant, est aussi un lieu de débats et de rencontres pour des habitants et habitués du quartier. Ses membres, se sentant largement concernés, décident alors d’organiser une première réunion publique, sur la place, pour discuter de ces pré-propositions qu’ils n’auraient pas dû voir. « Il faut arrêter de ne pas demander l’avis de la population et de tout faire en privé. On doit avoir notre mot à dire », s’insurgent certains[3. « La Plaine veut rester populaire », Coquille David, LaMarseillaise.fr, publié le 13 oct. 2015.].

En parallèle de ces germes de mobilisation, et comme l’impose le code de l’urbanisme, une procédure de « concertation » est lancée. Mais même si le législateur oblige bien les collectivités à associer « les habitants, les associations locales et les autres personnes concernées »[4. Article L330-2 – Loi n°2014-366 du 24 mars 2014 – art. 170, dite « Loi ALUR ».] pendant « toute la durée de l’élaboration du projet », il laisse à l’appréciation du maître d’ouvrage, à travers une délibération du Conseil Municipal, toute latitude quant aux modalités de sa mise en œuvre.

La Soléam mandate alors, par appel d’offre[5. Concertation, piège à… », Boistel Sébastien, LeRavi.org, publié le 10 février 2016.], le cabinet ResPublica, expert en « stratégie et ingénierie de la concertation »[6. Le cabinet ResPublica, en charge de la concertation, se définit en ces termes sur son site Internet : « Le métier de ResPublica est le conseil en stratégie et ingénierie de la concertation (conception, organisation et animation). Nos interventions visent à rendre utiles et efficaces les processus de participation publique en apportant méthode, rigueur et innovation à nos clients. » respublica-conseil.fr, consulté au 10 mai 2016.], avec qui la Ville de Marseille a déjà travaillé quelques mois plus tôt sur le quartier de la Belle de Mai. Leur objectif : rencontrer des personnes habitant ou pratiquant le quartier, afin de définir un cahier des charges programmatique servant aux futures équipes de maîtrise d’œuvre. Étalées entre les mois de novembre et décembre, quatre réunions publiques seront proposées : deux destinées aux habitants, une pour les forains du marché et une pour la synthèse générale. Chacune d’elles est accessible à 120 personnes, pré-inscrites au préalable par e-mail ou par téléphone.

Les réunions sont houleuses. Des associations se mobilisent aux côtés de l’Assemblée qui, elle-même dénonce le fait « que la mairie de Marseille et les mairies de secteur fassent des plans de réaménagement dans un total manque d’informations, de transparence et surtout aucune prise en compte des habitants, habitués et commerçants »[7. « Place Jean-Jaurès à Marseille : début de la concertation le 26 novembre », Tanguy Delphine, LaProvence.com, publié le 23 oct. 2015.]. Ainsi, mi-décembre, à la veille de la dernière réunion publique, qui doit présenter les conclusions du travail mené par ResPublica, l’association Un Centre Ville Pour Tous « appelle à la vigilance et à une concertation véritable »[8. Communiqué de presse d’Un Centre Ville Pour Tous, diffusé le 15 déc. 2015.].

Car, contrairement à ce qu’affirme l’adjoint au maire Gérard Chenoz, en dénigrant « une poignée d’irresponsables »[9. « La Plaine n’est pas un canton suisse », Castelly Lisa, Marsactu, le 18 déc 2015.], il y a un réel désir populaire d’intervention sur La Plaine. En effet, le constat de départ semble être partagé entre ces usagers et les institution publiques : « Personne ou presque ne conteste le besoin important de rénovation. Cette grande place multifonctionnelle […] est en très mauvais état. On n’y compte plus les nids de poules et les racines qui défoncent le bitume. Cet accord de principe augurerait d’un bon départ pour une politique publique légitime. »[10. « Marseille dans la dynamique de la méfiance », Rouchier Juliette, Libération.fr, 2 fév. 2016.] Chacun s’accorde donc pour dire qu’il est nécessaire que les choses s’améliorent.

Mais qu’est-ce qui doit changer ? C’est bien cette question essentielle qui divise. Du côté de la population, « avant même tout projet d’aménagement, il convient de mettre fin au semi abandon de cet espace par la municipalité. »[11. Communiqué de presse d’Un Centre Ville Pour Tous, diffusé le 15 déc. 2015.] En d’autres termes, il est demandé que les services publics soient assurés.

En revanche, les objectifs de la Ville de Marseille diffèrent quelque peu. Pour le président de la Soléam : « Dans le cadre du Projet grand centre-ville, notre objectif est, d’ici 2021, de réhabiliter, de revitaliser 35 pôles urbains, dont celui de La Plaine, qui reste un espace public majeur. »[12. « Place Jean-Jaurès à Marseille : début de la concertation le 26 novembre », Tanguy Delphine, LaProvence.com, 23 oct. 2016.]

L’ambition affichée paraît plus grande, mais qu’implique-t-elle ? La mise en œuvre de quelques « invariants », posée en préambule de toute action de la Ville, ceux-là même qui attisent les contestations et qui sont présentés en ces termes dans les différents cahiers des charges : une « montée en gamme de la place », « doter la ville d’un marché qualitatif », « améliorer la co-habitation des usages », « affirmer son statut de première place de Marseille »… Personne n’est dupe, chacun de ces points ramènent à des processus connus : marketing territorial, attractivité touristique, revalorisation foncière… entrainant, le plus souvent, une relégation des plus précaires. Et les comparaisons avec d’autres opérations marseillaises sont parfois évoquées : « la crise de confiance est grave dans cette ville après la stérilisation de la rue de la République […], de la porte d’Aix […], l’essoufflement annoncé du [tout nouveau] centre commercial “Les terrasses du port”… »[13. « Marseille dans la dynamique de la méfiance », Rouchier Juliette, Libération.fr, 2 fév. 2016.]

La situation est donc tendue. D’un côté, des habitants qui s’inquiètent du devenir de leur quartier et rejettent les procédures imposées par la Soléam ; de l’autre, Gérard Chenoz, élu à la Ville de Marseille et, à ce titre, président de la Soléam, qui adopte une position claire mais peu satisfaisante pour les premiers : « nous ne sommes pas venus pour discuter mais pour recueillir leurs remarques et leurs propositions »[14. « Le doute plane encore sur la Plaine », Dihl Marjolaine, La Marseillaise.fr, publié le 20 déc. 2015.]. D’ailleurs, la diffusion des documents d’études préalables ne semblent que peu à son goût et il en donne le ton : « Ce ne sont que des documents de travail, rien n’est encore fait, je pourrais porter plainte contre la personne qui les a exfiltrés ! »[15. « La Plaine, quartier libre », Le Dantec Bruno, CQFD n°138, déc. 2015.]

La procédure institutionnelle suit alors sont cours. Car même si des voix se sont élevées, ce sont des situations trop bien connues des élus et des techniciens qui ont l’habitude d’être empêtrés dans les difficultés de mise en œuvre de ce type de projets urbains. Gilles-Laurent Rayssac, responsable de ResPublica le sait lui aussi très bien : « On retrouve ça partout, les gens sont méfiants vis-à-vis des initiatives de la Ville et, ici, cela a été particulièrement vigoureux. »[16. « La Plaine n’est pas un canton suisse », Castelly Lisa, Marsactu, le 18 déc 2015.]

Un cahier des charges a donc bien été rédigé et publié en mars dernier sur le site Internet de la Soléam. Il révèle d’ailleurs des contradictions avec les propositions faites lors des réunions de concertation et précise les « invariants » énoncés précédemment et objets de contestation. Ce document a été fourni aux quatre équipes pluridisciplinaires de maîtrise d’œuvre retenues par appel d’offre pour entamer un dialogue compétitif de plusieurs mois. Cette procédure imposant une réelle confidentialité, peu d’informations filtrent et aucuns échanges ne sont à prévoir avec les populations durant toute cette phase de conception.[17. « Guide du dialogue compétitif », sous l’égide du MEDEF, LeMoniteur.fr, publié le 07 déc. 2007.]

LA MOBILISATION HABITANTE SPONTANÉE POUR LA CONSTRUCTION DE L’ESPACE PUBLIC

« Touchez pas La Plaine, touchez pas, elle est à tous et à tous restera. Si elle change ne vous en faites pas, c’est le peuple qui la transformera. »[18. « Touchez pas à la Plaine », chanson écrite par Manu Théron, lutteenchantee.wordpress. com, consulté au 12 fév. 2016.]

Le refrain est chanté en boucle… Du côté des habitants et usagers de La Plaine, la mobilisation ne faiblit pas. Bien au contraire, la construction d’un discours commun, d’un objet identifiable contre qui lutter a réussi à faire se fédérer un ensemble de dynamiques éparses dans le quartier.

Cette mobilisation prend plusieurs formes. D’abord portée par l’Assemblée, elle s’est petit à petit élargie à de nombreux individus, groupes ou associations pratiquant La Plaine et qui ont l’habitude de s’organiser de manière autonome et solidaire à l’échelle du quartier. Se poursuivent alors cantines à prix libre, concerts, séminaires et squats de soutien… Un groupe, les Voix de La Plaine, issue directement de l’Assemblée, s’est occupé d’aller recueillir la parole d’usagers de la place ; il y a eu des réunions publiques, organisées à même la place pour échanger sur le devenir du quartier ; et puis, il y a eu un premier chantier collectif : la construction d’un ensemble de tables de pique-nique.

Alors que le temps de la concertation institutionnelle n’est pas encore terminé, quelques « plainards », dont des architectes- constructeurs, dessinent et construisent des éléments de mobilier robuste. Cela nécessite plusieurs jours de préparation qui se dérouleront en atelier. L’emplacement d’installation est tout choisi : en lisière du terrain en stabilisé, au centre de la place tout en ne perturbant aucune des pratiques existantes, venant simplement en proposer une nouvelle. Sa mise en place, le 20 décembre, sera l’occasion d’une fête de quartier : « L’endroit devient vite convivial, des familles y pique-niquent, les habitants s’y retrouvent pour des discussions impromptues. La réalisation devient vite un symbole. Mais elle dérange. »[19. « Ils ne feront pas table rase de la Plaine », Walgenwitz Catherine, LaMarseillaise.fr, publié le 13 déc. 2015.]

BOMBES LACRYMO ET NOUVEL ÉLAN COLLECTIF

La mairie ne voit effectivement pas d’un très bon œil ce nouveau micro-équipement. Trois mois plus tard, courant mars, et juste quelques jours après la 17e édition du Carnaval indépendant, une entreprise est dépêchée en sous-traitance par la Ville pour déposer ce « mobilier sauvage ». Instantanément relayée par SMS par des passants, l’action municipale se complique. Ce sont rapidement quelques dizaines de personnes qui font face aux policiers accompagnant l’équipe de démontage : « plusieurs habitants se sont agrippés aux tables pour tenter de les protéger. Les policiers municipaux ont alors usé de leurs bombes lacrymogènes pour tenter de les disperser. L’empoignade a duré quelques minutes, et il a fallu l’intervention de la police nationale et même des CRS pour ramener le calme »[20. « L’impossible concertation sur la Plaine », Penverne Mickael, 20minutes.fr, publié le 18 mars 2013.].

Est-ce l’absence d’un bureau de contrôle ayant certifié l’installation des tables, est-ce l’absence d’une assurance couvrant les sinistres potentiels, ou est-ce l’absence d’une demande officielle, et donc l’aval d’un élu, qui ont motivé cette réaction publique ? Quoi qu’il en soit, les tables enlevées et les images de violences policières qui se sont propagées sur les réseaux sociaux n’ont fait qu’attiser les désirs d’occupation de l’espace.

Dans les quinze jours qui suivent, un nouveau chantier collectif est relancé. Et la pose de nouvelles tables a lieu le 30 avril. Plus grandes, plus nombreuses. Et, la mobilisation s’élargissant, de nouveaux micro-équipements ont été prévus : jardinières, cages de foot, panneaux d’affichage libre… Cette fois, l’événement sera amplement relayée par les associations locales et son organisation dépasse largement le cadre originel de l’Assemblée de La Plaine. Ce sera La Table est Plaine, nom de cette fête de quartier, terrain de convergences. Plus d’un millier de personnes se retrouvent alors pour l’installation de ces nouvelles tables et des autres équipements, lors d’une journée hautement festive qui se terminera tard dans la soirée, sans heurts particuliers.

UN BASCULEMENT CULTUREL ?

Des évolutions sont-elles en train de s’opérer dans l’imaginaire collectif ? Alors que le point de départ a été la contestation d’un projet non concerté, un glissement semble s’effectuer : « L’heure n’est plus à dénoncer une concertation qu’ils estiment à bien des égards factice, mais à « co-construire » un projet pour la place. »[21. « Des habitants de la Plaine planchent sur un projet de rénovation alternatif », Delabroy Caroline, 20Minutes.fr, publié le 6 mai 2016.]

Nous pouvons d’ores et déjà observer une dichotomie entre une injonction à la participation telle que martelée depuis plusieurs décennies dans différents textes de loi et, de l’autre, la répression engagée par les pouvoirs publics dès que des habitants ou usagers se saisissent de ce pouvoir d’agir auquel on les invite. Comment, alors, dépasser ce hiatus permanent et donc tenter de redéfinir les conditions d’une construction partagée de la ville ?

Plusieurs hypothèses peuvent être évoquées : la réelle considération d’une maîtrise d’usage, la redéfinition du rôle des élus, et le changement de paradigme en matière d’urbanisme, pour passer de l’urbanisme programmé à l’urbanisme tactique.

Nous constatons à l’évidence qu’il existe une réelle volonté des habitants et usagers de s’impliquer dans les processus de transformations de leur quartier. Cela est valable aujourd’hui pour La Plaine, mais ça l’est depuis au moins un demi-siècle en France. Les luttes urbaines, celles qui « portent sur la ville et non pas tous les conflits qui se déroulent dans la ville »[22. « Contre-pouvoirs dans la ville. Enjeux politiques des luttes urbaines », in Revue Autrement, trimestriel 6/76, Paris, 1976.], s’inscrivent dans une histoire qui remonte à la fin des années 60 : « au-delà de leur caractère revendicatif, local, isolé, partiel, il y a une permanence des mouvements urbains à l’heure actuelle, une lame de fond de la contestation urbaine »[23. ibid.]. Malgré les différentes législations mises en place depuis lors, nous voyons qu’il est toujours difficile de trouver des espaces d’entente entre des politiques publiques descendantes et des volontés populaires, auto-gestionnaires et inclusives. L’une des pistes à explorer serait alors peut-être celle de l’introduction d’une maîtrise d’usage dans les procédures de projet. Organisés en conseil, à la manière des conseils citoyens que les services de la Politique de la Ville tentent de mettre en place depuis quelques mois dans la nouvelle géographie des quartiers prioritaires, ils seraient composés d’habitants et usagers d’un territoire, ainsi que de différentes structures locales pouvant les représenter pour partie. Leur connaissance fine des pratiques issues de ses expériences vécues est porteuse d’un savoir que l’on ne peut négliger. Faire abstraction de cette « expertise du quotidien » peut se révéler, nous le voyons dans le cas de La Plaine, être contre-productif, les propositions émanant alors de professionnels et d’une expertise technique souvent trop décalés des usages des lieux.

Une réelle place serait alors à trouver dans un nouveau triptyque que ces conseils formeraient avec le maître d’ouvrage qui finance et le maître d’œuvre qui réalise. Tout serait alors à repenser dans les modes de fonctionnement de chacun…

Cela nous amène à notre second point, celui du rôle des élus. Car poser la question d’un conseil de maîtrise d’usage revient à ré-interroger les modes de gouvernance en vigueur dans la manière de fabriquer la ville. Aujourd’hui, comme le rappelle Gérard Chenoz, « au final, les élus décideront »[24. « La Plaine, place Jean Jaurès, la Ville veut “entendre tout le monde” », Tanguy Delphine, LaProvence.com, publié le 3 nov. 2015.]. Or l’enjeu pourrait être ici de redistribuer les cartes du pouvoir. Un glissement est sans doute à opérer d’une démocratie élective à une démocratie délibérative. La défiance envers les politiques n’est plus à prouver, à l’opposé d’un désir et besoin de refaire de la politique, dans son sens originel, à savoir de trouver des instances de dialogue et de négociation ouvertes et transparentes pour décider de comment nous voudrions vivre. Les élus peuvent jouer un rôle essentiel dans ces reconfigurations : leur connaissance des territoires, dans ses diverses échelles et dans la transversalité des sujets, est d’une puissante nécessité, afin de mettre en cohérence les différentes initiatives et désirs exprimés localement. Ce rôle, il l’assume déjà en partie, mais l’opacité dans laquelle cela se joue, couplée à leur pouvoir de décider sans rendre de comptes autrement qu’à travers quelques élections, ne leur permet pas d’endosser la confiance populaire nécessaire à une telle tâche.

Enfin, un troisième point nous semble à évoquer : ces différentes reconfigurations proposées seraient indissociables d’un changement de paradigme profond dans la manière de penser nos villes. La temporalité des projets est sans doute à réinterroger et à reconsidérer, notamment en inscrivant le court terme, l’accident et le spontané dans les stratégies publiques de visions à long terme. Cela peut entraîner de nouvelles conditions de gouvernance dont la complexité est à intégrer. C’est ce qui est en train de se jouer à La Plaine : la multiplication des prototypes d’usages permettent de tester la viabilité de micro- équipements. Ils acceptent la souplesse des évolutions de pratiques et de désirs, ils sont économiquement viables, et surtout, ils permettent et suscitent la multiplication des temps collectifs. La fête est réintroduite comme une composante essentielle de la vie urbaine, la convivialité sert d’outil au brassage culturel, la pratique manuelle rend inclusive la mise en œuvre de processus long. Mike Lydon qualifie l’urbanisme tactique comme « des actions à court terme pour un changement à long terme »[25. Lydon Mike, Garcia Anthony, Tactical urbanism. Short-term Action for Long-term Change, Island Press, Washington, 2015.]. Nous sommes donc là dans la construction d’un commun qui, par la multiplication de micro-actions, permet une mise en mouvement d’une dynamique populaire qui redonne sens à une intensité urbaine attirante.

Ces propositions ne sont pas nouvelles. Et elles sont, dans ce cas, directement liées à l’action. La Ville lancera-t-elle une nouvelle concertation, comme cela a été soulevé par un journaliste ? Nul ne peut le prévoir. Mais il y a sans aucun doute matière à expérimentation, sur le quartier de La Plaine et ailleurs, pour inventer de nouveaux processus de construction partagée de la Ville.