À l’occasion des 500 ans du Havre, nous étions invités par l’association FORT!, aux côtés de Bruit du Frigo et Yes We Camp, pour affirmer la position du fort de Tourneville comme lieu  culturel dans la ville, en contribuant à sa réappropriation par ses usagers et ses habitants. Au programme, un lieu central d’accueil et de convivialité pour les différents acteurs du fort, une signalétique et des parcours dans la ville, et pour nous la création d’un éco-pâturage dans l’aile Est du Fort. Cela a consisté en la construction d’une petite bergerie, mais aussi en un travail du parc de 1ha pour qu’il puisse accueillir des moutons et des Hommes. L’occasion pour nous de travailler avec Marc Vatinel, de l’atelier Pré Carré et le Balto, qui jouait à domicile. Et pour apporter un peu de fraîcheur dans ce monde de douglas, nous avons (re)travaillé avec les graphistes Diane Bousquet et Julie Baillieul. (Las Végas Crugny remember). Un bataillon de bénévoles a aussi répondu présent pour venir renforcer l’équipe dans la joie et la bonne humeur malgré la rigueur du printemps havrais. L’arbre à cuire (Nicolas Simarik & Olivier Dohin), artistes performeurs culinaires, étaient également de la partie pour nourrir l’équipe et réchauffer l’ambiance.
Les trois chantiers se sont terminés en mai 2017, après deux intenses semaines et à l’issue desquelles les moutons de la ferme de la Mare Cavelière, menés par Donatien Claes, ont pu profiter de leur nouveau terrain de jeu.

 

Au fort de Tourneville

Depuis la fin de son activité comme base militaire en 1980, le fort a été petit à petit  réutilisé pour des usages municipaux et des ateliers d’artistes. On y trouve notamment une salle de musique actuelle, le Tétris, ainsi qu’une école de musique, Le Sonic. le Fort accueille ainsi de nombreux événements dont le festival Ouest Parc… Et depuis peu, l’association Fort! coordonne et représente les différents acteurs du fort autour d’une identité et d’un projet commun.

Cette année, c’est l’anniversaire de la ville, 500 bougies soufflées depuis que François, 1er du nom, a décidé de se faire faire un port digne de ce nom, pour faire la nique aux anglais et aller pêcher la morue. C’est donc la fête : Un Été au Havre. Avec une partie de la programmation est centrée sur le fort, l’occasion d’encourager et de conforter cette effervescence collective.


Les différents chantiers du Fort menés simultanément nous ont permis de partager de nombreux moments avec les copains de Bruit du Frigo et de Yes We Camp, encouragés par la performance des deux lascars de l’arbre à cuire qui ont installé et habité leur cuisine de chêne blanc, conçue et construite pour l’occasion, et nourri toute l’équipe de bons produits locaux, transformant le dancing en vrai lieux de vie pour les trois équipes.

Mouton des villes, moutons des champs.

Issu des envies de différents usagers du fort de cultiver le côté « naturel » du site enfriché, le projet de pâturage urbain a murit notamment grâce au travail de recherche d’Augustin Claes (le frère de l’éleveur) sur  ce sujet.  Lorsque l’association Le Fort! nous propose de nous emparer du sujet, nous sommes d’emblée séduits, bien qu’un peu démunis techniquement et peu sereins sur l’adoption d’une posture.

Alors qu’il était courant, il y a un siècle, de croiser des animaux en ville pour des fonctions techniques (transports notamment), aujourd’hui la présence d’animaux en ville est souvent liée à des fonctions ludiques, comme les cirques, zoos et ménageries, avec des identités et des imaginaires bien marqués. Les projets de pâturages urbains, qui réhabilitent une place technique pour les animaux en ville, créent des décalages sur lesquels il nous paraît intéressant de nous appuyer pour développer un imaginaire, créer un récit collectif, et ainsi enrichir le projet tout en le rendant plus facilement partageable. La fiction devient notre langage commun, qu’on soit architecte, curieux de passage, technicien, collégien ou bénévole.
« En 2017, à l’occasion d’un été au Havre, la troupe d’artistes ovins de « La Folie Bergère » s’installe au Havre pour préparer leur future tournée internationale. Ces acrobates du monde entier ont choisi de planter leur chapiteau au fort de Tourneville pour se mettre au vert et répéter leurs époustouflants numéros. Une occasion en or pour les Havrais de passage d’apercevoir en avant première les artistes au travail. »
En s’appuyant sur le caractère exceptionnel que représente la présence de moutons en ville, nous souhaitons forcer le trait pour créer un joyeux décalage mettant en scène des artistes laineux aux capacités extraordinaires.
Les aménagements du pâturage sont vecteurs de cet imaginaire. On peut dès lors transformer la bergerie en chapiteau, les mobiliers en agrès de cirque prétendument destinés à l’entraînement des acrobates, etc.
–  Guy N’Dhoule  –

 

 

Une nouvelle folie dans le fort.


« Entrez dans le fort et vous verrez, elle est là, tout de suite sur la droite, au bout de l’allée cavalière, en fond de perspective de l’alignement de platane. » La bergerie s’implante en façade d’un tunnel existant, probablement une ancienne réserve de munition ou issue de secours du fort. À l’image d’une flûte à piston, le volume intérieur du tunnel constitue une sorte de réserve foncière extensible en profondeur en fonction du nombre de bêtes que l’on souhaite accueillir, sans modifier l’apparente façade.

Tout en faisant le lien entre le haut et le bas du terrain, nous avons voulu faire un clin d’oeil au textile des chapiteaux. Inspirés notamment par le projet « The pinch », nous avons donné à la toiture praticable une forme un peu gauche permettant aux moutons (et aux humains) d’accéder directement au haut du pâturage.

 

Le pâturage

La particularité de ce pâturage est qu’il n’est pas exclusivement réservé aux moutons. Au contraire, il cherche à favoriser une confrontation, rencontre fortuite entre l’Homme et l’animal. Sa mise en place est aussi prétexte à se réapproprier cette aile du fort, conforter ou suggérer des usages par l’installation de mobilier, ouvrir et défricher des nouveaux espaces, travailler des ambiances, des cheminements. Et faire un peu de pédagogie.

> La tronçonneuse, le sécateur… et la cloche

Mais bon, même avec de beaux discours, il faut poser une clôture à moutons. Et planter 600 piquets dans du remblais militaire, c’est long et pénible. Mais ça n’a pas empêché l’équipe de forçats, guidée par le sous commandant Marc Vatinel, de s’occuper aussi de ce qui ce passe dans le parc, des ambiances, de jardiner un peu les espaces, d’ouvrir des passages, protéger des zones en faisant des mises en défense. Tout ça avec ce qu’il y a sur place : « ce que je coupe pour ouvrir ici, je m’en sert pour renforcer cette haie, protéger cette îlot de broussaille qui m’intéresse« .

 

> Mobiliers

Des espaces remarquables du parc ont été agrémentés de mobiliers, les fameux cônes tronqués, agrès de cirque. Une bascule par ici, une plateforme par là, un promontoire pour souligner une vue sur la ville haute ou dans les bois.

 

> Univers graphique

L’équipe graphisme, menée par Diane Bousquet et Julie Baillieul, nous a gratifié d’une belle enseigne en lettrage, qu’on retrouve également dans le parc sur deux anciens totem qui accueillaient précédemment les panneaux « Site du Fort de Tourneville – Ancien terrain militaire non sécurisé – Nombreux risques de chutes et de blessures – Accès strictement interdit – Danger de mort ».

Les entrées publiques sont également des éléments forts, marqués par les panneaux colorés, support de messages incitatifs au respect du cheptel et de la vie en général. Le message se prolonge le long des parcours, au grès des histoires et des particularités relevées pendant le chantier.

 

> De l’animalité.

Pendant une journée nous avons accueilli une classe de 4e du collège Raymond Queneau. L’occasion d’un atelier autour de mobilier oviforme  et d’une première belle photo de groupe. Un workshop détaché du Ministère du Temps Libéré, de la créativité et de la joie.

« On aimerait aborder l’architecture avec les enfants sous deux angles différents, mais complémentaires.
Le premier parle de la manière dont l’espace influence notre comportement. Les architectes japonais de l’Atelier Bow-Wow ont dit pour « changer la politique, il suffirait de changer la position des chaises au Parlement« . On pourrait prendre différents exemples pour l’expliquer aux élèves, comme cette cabane africaine avec un toit très bas qui empêche les gens lors des réunions du village de se lever, et donc de s’énerver. De cet état de fait, on pourrait prendre comme sujet l’espace public et la ville : si on ne peut s’asseoir nulle part, on ne peut rencontrer personne, on ne peut pas profiter de la ville. On pourrait parler des places, des squares, des jeux pour enfants, de la promenade et des endroits où l’on s’attarde un peu : montrer que la ville, c’est l’espace de tous.
On fait du mobilier, pour que les gens se sentent bien et profitent d’un endroit dans ce petit parc du Fort, une « clairière » comme dans une forêt. Ces différents petits mobiliers formeraient comme un petit troupeau de chaises qui se regardent les uns les autres, où l’on peut se regrouper ici à deux, là à quatre, ou encore ici à six, en changeant la façon dont les chaises sont disposées. Modifier un espace, ça n’arrive pas souvent dans la ville, mais c’est une façon de se l’approprier et de l’adapter à nos usages, à ce dont on a envie. C’est quelque chose que l’on prône dans notre pratique.
Le deuxième aspect parle des processus de conception des projets, ce que les anglais appellent le «design». Là encore, sur la base de plusieurs projets choisis dans l’histoire de l’architecture, on voudrait montrer la diversité des façons de construire. C’est très culturel, et il y a plein et plein de façons différentes d’habiter une maison, un quartier, un village ou une ville. On raconte comment nous, de notre côté, on conçoit les choses. C’est à dire qu’on va prendre en compte des usages, comme on a vu au premier point, mais aussi des «imaginaires», des rêves, des images, des références, pour faire rêver un peu les gens qui vont venir, pour leur raconter une histoire.
On a dessiné le mobilier comme des animaux. On leur montre rapidement qu’il y a mille façons de dessiner du mobilier, et que ce qui nous oriente nous dans notre façon de dessiner, c’est cet imaginaire dont on parle. Donc, les animaux et le mobilier, c’est une « valeur d’usage » comme on a vu, mais c’est aussi une référence au projet de la bergerie, un « clin d’œil » et aussi une « métaphore », une image. Les mobiliers qui se déplacent sont comme des animaux dans une clairière. C’est pour leur donner une « personnalité » »
– professeur Mou –

 

Sheep happens

Après deux semaines intenses en effort, en réflexion, en rencontres, en émotions, en intempéries, en beurre, en crème fraîche, en calva… c’est sous un beau soleil de mai que le fort invite le public à découvrir ses nouveautés.

Le maire, fraîchement nommé premier ministre, ne viendra pas. Mais entre deux succulents dwichs préparés par l’Arbre à cuire, nous écoutons distraits les discours creux des élus d’astreinte. On a tous la tête ailleurs : on attends les moutons !
Et puis d’un coup, ça y est, Donatien arrive avec les premiers cobayes dans la remorque. Quelques réglages, une marche arrière méticuleuse et chclang, on ouvre la remorque. Les nouveaux résidents débarquent, affolés par la manœuvre et la foule en délire. Ils se précipitent d’abord à côté de la bergerie. « Merde, ça leur plait pas ?« . Ils reprennent leurs esprits, commencent à explorer, trouvent des raccourcis, expérimentent le passage sur la toiture. Tout va bien. Par contre le public, nombreux ce jour là, ne cesse de courir après, de vouloir les toucher. Les moutons, d’abord nerveux, sont vite éreintés et se laissent petit à petit caresser par les enfants malgré les recommandations du berger de les laisser tranquilles. Il va falloir un peu de temps pour s’apprivoiser mutuellement. Heureusement, le quotidien du fort est plus calme.

 

Merci à l’équipe du fort pour l’invitation et l’accueil : Fazette, Mathieu, Antoine et David, merci à l’équipe de graphiste : Diane et Julie, à notre super équipe de bénévoles : Julie, Charlotte, Maxime, Louise, Nelson, Amanda, Germain, Manon et Roxane, à Marc Vatinel et son équipe de défourailleurs Jules, Fabian, Sylvère et ceux que j’oublie sûrement …

Merci à Olivier Dohin et Nicolas Simarik pour une cuisine bien habitée !

et bravo à l’équipe de Bruit du Frigo et Yes We Camp pour leurs réalisations dans le fort.

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