En juillet 2015, il y a deux ans, nous étions à l’Écomusée d’Alsace pour y mener un chantier fourni : une passerelle, des modules flottants, du mobilier, des peintures, le tournage d’un film ont rythmé ces trois semaines sous le soleil d’Alsace.

En septembre 2016, nous avons remis le couvert pour un deuxième chantier ouvert : le remontage d’une ancienne maison à colombages pour accueillir le futur “Théâtre de l’Agriculture”. Ce travail a été mené conjointement avec les premières esquisses in situ d’un troisième projet, un belvédère, sur la base d’un puzzle de colombages à déchiffrer.

1/ LE DÉCOR

D’abord, quelques rappels pour planter le décor. L’écomusée est un concept mis en place dans les années 70 par Hugues de Varine et Georges-Henri Rivière, tous deux jeunes muséologues sortis de l’école du Louvre. On cherche alors à développer des patrimoines vivants et fédérés autour de lieux singuliers à la programmation culturelle soutenue : fêtes, débats, collecte d’objets ou chantiers font des habitants d’un territoire les acteurs de leur patrimoine. Encore aujourd’hui, on peut croiser des jeunes du coin venus proposer leurs services, aider des retraités en costumes traditionnels à bêcher au potager, entendre le bruit du ferronnier travaillant à l’enclume ou encore déguster un schnaps local à la méthode séculaire.

Deux visions muséographiques cohabitent dans la fondation du lieu : d’une part, la volonté de montrer le patrimoine alsacien dans son aspect historique, voir folklorique, à travers l’architecture typique ou “vernaculaire” de l’Alsace et son village créé de toute pièce, mais aussi dans toutes les parties de sa culture : les techniques, les coutumes, le mode de vie, les habits, l’agriculture ou encore la langue. D’autre part, il y a la volonté de faire vivre ce patrimoine dans son actualisation contemporaine et de favoriser des espaces de créativité qui puisent leur source dans cette culture matérielle et immatérielle de l’Alsace. Cela s’incarne notamment dans des réflexions globales sur les manières “d’habiter le 21ème siècle” et le questionnement de sujets économiques, environnementaux et sociaux.

Après le premier chantier plus créatif de juillet 2015, le remontage de cette charpente traditionnelle s’inscrit dans une volonté conjointe du Collectif Etc et de l’Écomusée de travailler aussi sur la dimension historique et patrimoniale du musée, de lui donner toute sa valeur.

2/ COLOMBAGES & REMONTAGE : LA MAISON DE SUNDHOFFEN

Ce chantier de remontage s’est appuyé sur un premier travail de repérage et de démontage mené par l’équipe de l’Écomusée. Nous avions donc à notre disposition des tas de bois numérotés : il ne fallait plus que suivre le mode d’emploi de ce mécano d’un autre genre. Cette maison était une étable construite autour de 1840 au village de Sundhoffen, dans le Haut-Rhin, comme on peut en trouver un certain nombre dans la région.

Pourquoi appeler un groupe de jeunes architectes-constructeurs pour ce travail ? Parce que l’organisation de chantiers collectifs, c’est un des piliers de l’histoire de l’écomusée, tant dans les théories de ses instigateurs que dans la sueur et la joie qui ont battu le tambour des chantiers de chacune des maisons du village. C’est un des ferments qui tient ensemble tous les bénévoles, jeunes et vieux, autour de moments conviviaux et pédagogiques. Cette pratique historique de l’écomusée est un écho à nos positions et notre expérience des chantiers ouverts que nous menons depuis le début de notre aventure, où le chantier devient lui-même un outil pour impliquer d’autres personnes dans l’appropriation de leurs lieux communs, de leurs histoires, de leurs espaces publics ou encore, comme ici, de leur patrimoine.

L’écomusée s’est occupé de démonter la maison et de préparer le travail. Merci à eux !

Sur la base d’un appel à chantier via mail et réseaux sociaux, nous avons réuni une équipe d’une dizaine d’individus. Il y a là les collègues de Formarev, fidèles suiveurs de l’écomusée, des habitués du chantier de l’année passée comme les graphistes Nicolas et Marie, des architectes qui prennent le large de l’agence comme Mathilde ou Lydie, un thésard en sociologie venu prendre le soleil, deux ingénieurs parisiens qui découvrent la campagne, un jeune charpentier de la région et d’autres profils encore qui sont venus compléter le profil bigarré de notre équipe.

Le chantier a été piloté par un personnage riche en couleurs : Guy, des décennies de chantier de remontage de colombages derrière lui, un des bénévoles vétérans qui a vu de ses yeux et de ses mains le village de l’écomusée se construire. Guy pilote le chantier, grimpe aux colombages comme un singe alsacien, malgré ses plus de soixante-dix ans au compteur. Il monte un échafaudage pour contrôler un assemblage, redescend donner des indications sur le tronçonnage des solives, escalade à nouveau la charpente pour aider à donner trois coups de marteau au faîtage. Autour de lui, la grosse poignée des bénévoles s’agite et s’affaire sous un soleil presque omniprésent de ces dix jours.

On est surpris de la rapidité du montage, qui n’hésite pas à réadapter les techniques traditionnelles d’assemblage. Si avant le prix du fer et de ses alliages interdisait aux paysans de s’acheter des clous, ce n’est plus le cas aujourd’hui, et l’on a régulièrement sabré le téton d’un assemblage tenon-mortaise qui ne voulait pas rentrer pour le larder de quelques grandes vis. La base du rez-de-chaussée en parpaings a été l’occasion de plusieurs remarques étonnées des visiteurs, mais cela illustre bien la liberté des positions muséographiques de l’écomusée. On n’est pas là pour copier dans le plus pur respect la tradition, mais avant tout pour mettre en mouvement autant qu’en relief un patrimoine et le partager autour d’évènements vivants.

Petit à petit, les bouts de bois s’assemblent et l’on peut grimper assez rapidement jusqu’au sommet de la toiture, ajoutant à chaque partie de la maison des mots à notre lexique, comme le “coyau”, cette excroissance de la toiture à l’avant de la maison qui crée un espace extérieur protégé, propice à faire sécher des graines ou des fruits. Pour la fin du lever de charpente, Guy se fait le maître de cérémonie en prononçant le discours obligatoire au sommet, avec le traditionnel sapin emmanché au plus haut du pignon et lâcher de verre de vin qui se brise dans la charpente, signe de bon augure pour cette nouvelle maison. Enfin, on fait la chaîne pour se jeter les tuiles de la couverture une à une dans un ballet collectif hypnotique. La toiture se couvre vite de ses vieilles tuiles toutes différentes, signe de l’artisanat local, et l’on finit dans les temps pour souligner d’un trait de tuiles canal le faîtage du bâtiment.

3/ PUZZLE À TROUS : LA MAISON DE OBERHAUSBERGEN

Pendant ce temps, une autre équipe a travaillé sous la grande halle où sont stockés tous les objets collectés par l’écomusée. Entre deux caravanes en bois et l’odeur de quelques tracteurs du début du siècle, on s’attèle à recomposer le puzzle d’une maison à colombages en kit dont le plan s’est perdu. On détache les palettes et sort les bois un à un pour les étaler au sol et appréhender la complexité du travail. Certains sont mangés par le temps, les insectes ou l’humidité et d’autres ont égaré la seule trace qui nous permettrait de retrouver la logique perdue : une petite plaque en aluminium comportant chacune un chiffre différent.

On essaye des classements : par taille d’abord, puis par série. Faut-il assembler la famille des 501, 502, 503, etc. ? Ou alors celle des 501, 601, 701 ? On s’imagine la manière dont la personne a posé les plaques avant de tout démonter : elle déambule pièce par pièce, posant d’abord les plaques à l’extérieur de la structure au rez-de-chaussée, puis à l’intérieur. Au fil des jours, on recompose tant bien que mal ce casse-tête, d’autant que certaines pièces sont manquantes alors même que l’on s’acharne à les trouver dans le dédale des colombages étalés, étrange marelle qui se superpose aux peintures du sol réalisées l’année passée par Nicolas Pasquereau.

Finalement, les dessins s’éclaircissent et l’on arrive à modéliser la maison, ou ce qu’il en reste. On aura même le temps avant de partir de réfléchir à des esquisses pour notre prochain projet : un belvédère, une autre construction après la maison de Sundhoffen pour attirer les visiteurs dans cette partie du musée en devenir, le théâtre de l’agriculture. C’est l’occasion de discuter à nouveau des enjeux d’une réinterprétation du patrimoine, comme on avait pu le faire lors de notre première venue il y a un an : faut-il être dans la tradition, dans le pastiche, ou dans un geste fort et bouleversant, ou dans une opposition entre les deux ? Ce sera à nous de poursuivre les réflexions de retour à Marseille, et en dialogue constant avec les protagonistes de l’écomusée.


À force de “bibeläs käse” (fromage blanc aux oignons et herbes), de choucroute et aussi d’une soirée “tarte flambée” dans un four traditionnel d’une des maisons du village, nous sommes tous revenus de ce chantier sains et saufs. On repart de là avec en tête des bons moments partagés tous ensemble et le plaisir de s’y retrouver dans un an, avec supplément Munster bien sûr.

 

Nous remercions l’Ecomusée d’Alsace, Eric Jacob, François Kiesler, Guy Macchi, Daniel, Laurent, Adrien Lacoche, tous les bénévoles et salariés de l’EMA ; aux champions de la pose de poutre et découpe de lardons : Margaux, Zélia, Matt, Gabrielle, Jeanne, Cécilia, Nico, Lydie, Mélaine, Mathilde, Marie, Kim, Noémie, Baptiste, Thomas, Paul, Claire, Philippe, Noé, Lucas, Eugénie, Jeanne, Chloé, Estève, Claudia et Antoine. Et Adrien Adloff et son petit Léon avec Rêve d’Altitude pour les images en drône.

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