Invité au mois de juillet 2014 en Allemagne par le collectif berlinois Raumlabor et le festival d’architecture de la région Rhein-Main Architektursommer, le Collectif Etc a passé 3 semaines dans la ville de Darmstadt pour participer au projet Osthang aux côtés de Orizzontale (IT), Atelier Bow wow (JAP), Construct Lab (EU) (co-membres Exyzt FR), Umschichten (DE), Martin Kaltwasser (DE), M7red (ARG), Atelier le Balto (DE/FR)  et d’une soixantaine d’étudiants du monde entier. L’objectif de cette rencontre était de réinvestir un jardin en friche en plein cœur du quartier de Mathildenhöhe autour du thème « living together ».

« LIVING TOGETHER »

Jan Liesgang (Raumlabor), commissaire du festival appuyé par l’Architektursommer, a invité les équipes à recomposer durant ces 3 semaines une colonie d’artistes éphémère. L’objectif était de s’appuyer sur cette tradition de pavillons temporaires issue des grandes expositions des années 1900 pour questionner l’avenir d’un espace délaissé. Cette fois-ci réunis autour d’une approche collective et expérimentale de l’architecture sous le thème symbolique : « vivre ensemble ». Les équipements étaient conçu pour accueillir l’université d’été pour la musique nouvelle, un évènement partenaire du projet.

Comment transformer et activer un espace de manière autogérée autour d’enjeux urbains et locaux pour qu’il devienne à la fois support de discussions, d’expérimentations et un lieu autonome à la disponibilité de tous ? Un exercice de style pour les quelques 120 participants qui sont venus cohabiter avec les habitants du quartier.

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LE RÔLE DU COLLECTIF ETC : IMAGINER L’ESPACE CUISINE

Accompagné d’une quinzaine d’étudiants, le Collectif Etc était en charge de concevoir et fabriquer l’espace cuisine du festival. Rapidement, nous avons proposé de nous occuper également de cuisiner les repas pour les 100 participants au festival et les visiteurs. Les repas sont généralement des moments importants sur un chantier. Ils génèrent des rencontres, des temps de pause et de réflexions sur l’action en cours. Nous voulions expérimenter durant ces trois semaines comment les temps de la construction et de la cuisine pouvaient être mixés et évoluer ensemble pour créer un objet architectural cohérent, tout en œuvrant à une ouverture directe sur le quartier en invitant tout à chacun à venir boire un verre, manger, déguster un dessert et ainsi participer au projet. Pour ce faire, avec l’aide de l’équipe organisatrice, nous avons mis en place un partenariat avec une ferme Bio voisine qui nous fournissait en aliments locaux durant toute la durée du festival, les repas étaient complétés par des aliments provenant de grandes surfaces lorsque nous ne pouvions pas faire autrement.

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1/ OUVRIR LA CONCEPTION : UNE MATRICE CONSTRUCTIVE

Afin de pouvoir partager un maximum le temps de la conception avec les étudiants, nous avons essayé de mettre en place un système constructif comprenant certaines règles de base, tout en laissant plusieurs marges de manœuvre sur d’autres aspects de la construction. Ainsi, nous avons défini l’espace cuisine comme un assemblage de modules dont la structure, le système constructif et les dimensions étaient arrêtés sur une trame de 2,50m sur 2,50m. Chacun pouvait ensuite compléter le module, avec des solutions techniques variables, en fonction des matériaux et du temps disponibles : la hauteur des plateaux, les façades, le toit, le mobilier intérieur…

La conception et la construction de la cuisine allait de pair avec les besoins logistiques des « cuisiniers »: stockage, outillage, espaces de travail propres, etc. Nous avons proposé un projet incrémental, une expérience, où chaque jour, un nouvel espace, usage ou mobilier était créé, venant compléter l’espace cuisine en perpétuel mouvement.

Les différentes règles pour la conception (schémas mis à jour après le chantier) :

Reconstitution de la mise en place du projet suivant la trame de 2,50m :

 

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2/ ORGANISER LES FORCES EN PRÉSENCE : UNE MATRICE DE FONCTIONNEMENT

Pour une vision d’ensemble du projet et afin de découvrir plus intensément le lieu, le quartier, ses habitants, et la ville, nous avons divisé notre équipe d’une trentaine de personnes en 4 groupes. Chaque groupe avait un objectif par jour, l’ensemble des objectifs construisant le projet. Une réunion matinale journalière était organisée, pour garder une cohérence et une compréhension globale : chaque groupe détaillait son travail de la veille et ses intentions du jour.

Organisation des différents groupes sur les 3 semaines :

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Fonctionnement d’un groupe de travail :

 

 Les 4 temps de la production globale :

1- Thinking

L’équipe avait la journée pour réfléchir à la conception d’un module : sa fonction et son emplacement. En parallèle, elle devait proposer un menu pour la journée cuisine. Toutes les propositions étaient compilées sous formes de fiches techniques. L’évolution du projet était donc visible grâce à cette Timeline de micro-projets. La journée était aussi dédiée aux courses, à l’amélioration fonctionnelle de l’espace commun du site, mais aussi aux temps libre pour visiter et découvrir Darmstadt et ses environs.

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Début de la construction d’un module : sa structure, ses fondations, son emplacement, selon les règles énumérées plus haut. En présence d’une végétation abondante et diversifiée, certains modules devaient s’adapter en multipliant ainsi les diversités de détails.

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3- Building 2

Fin de la construction du module : son toit, ses façades, son aménagement, son rapport aux autres modules déjà présents. En fonction des matériaux à disposition, chaque équipe composait. L’ornementation a fait son entrée en soulevant beaucoup de curiosités. Des installations parasites sont venus se greffer aux modules : des escaliers, un bac pour le traitement des eaux usées, un poulailler (mais pas de poules, contre-indication administrative de dernière minute), etc.

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4- Cooking 

L’objectif de la journée : préparer 2 repas, un pour le déjeuner et un pour le dîner, pour une centaine de personnes. En parallèle l’équipe devait gérer le stockage des aliments, la vaisselle et le rangement de l’espace cuisine. Des aménagements, des scénographies ou des outils étaient inventés rapidement pour créer une ambiance particulière ou pour développer des recettes singulières, comme l’arbre à saucisse pour la traditionnelle « Richtfest » allemande ou la fondue au chocolat chauffée par des projecteurs de chantier. Les autres équipes d’Osthang ont aussi participé à ces longues journées de création culinaire en proposant notamment des lasagnes aux légumes et plantes du jardin ou un stand à falafel maison.

3/ LE PROJET CONSTRUIT : UN PROCESSUS INCRÉMENTAL

Finalement, la construction de l’espace s’est faite sans réel contrôle supervisant la composition de l’architecture obtenue. Chaque groupe développait des idées et allait au bout de ses envies. La production finale combinait ainsi un ensemble joyeux de micro-interventions, et même si de jour en jour nous avions des doutes sur l’image que renvoyait ce nouvel espace de cuisine, nous préférions trouver un sens dans le processus de fabrication de celui-ci. L’important était de pouvoir capter les envies et idées de tous, pour que chacun puisse s’emparer du projet. Est-ce qu’on peut réellement travailler sans plan et sans équipe de coordination ? Combien de temps on aurait pu continuer ainsi ? L’expérience, dans la continuité du projet de l’appartement témoin que nous avions réalisé à Nantes fin 2013, nous pousse à croire que nous n’en sommes qu’au tout début d’une recherche sur ces processus collectifs de constructions incrémentales en proposant de voir la transformation de l’espace comme un éternel cadavre exquis.

Au delà des quatre équipes de projet que nous formions avec les étudiants, ce mode de fonctionnement ouvert a permis plusieurs appropriations inattendues : le premier module (le kiosque bleu) a été construit avant notre arrivée par des étudiants et des jeunes diplômés de l’école de design voisine qui a proposé d’ouvrir un bar sur le site. Nous leur avons transmis les règles collectives et une présentation du projet, et ils ont dessiné et produit ce qui leur semblait être le plus adapté pour leur activité. Avant d’arriver, nous n’étions déjà plus maîtres du projet ! Durant la seconde semaine du chantier, une association locale d’ingénieurs aux idées progressistes est venue approfondir avec nous la conception et la réalisation d’un bac pour le traitement des eaux usées. Nous avons travaillé avec eux à l’installation de tout le système de phytoépuration. L’eau récupérée sert à arroser le jardin partagé situé juste au dessus.

Pendant trois semaines, nous avons construit, nous avons déconstruit, pour refaire, remodeler, déplacer, changer, améliorer… Un espace en mouvement qui profitait de toute cette agitation pour évoluer et s’améliorer de jour en jour. C’est une « cuisine équipée » que nous avons rendu en partant, qui sera sans aucun doute utilisée par d’autres personnes, associations ou voisins, afin de faire vivre ce lieu. L’équipe organisatrice prend le relais pour que la transition soit douce et intelligente. Comme souvent dans les projets d’activation temporaire d’espaces délaissés, l’avenir du site et des constructions dépend des structures locales et des dynamiques qui trouveront un intérêt à venir s’appuyer sur toutes les infrastructures proposées. Sur ce site où bien des investisseurs aimeraient construire des logements, le statut d’espace public s’est affirmé un peu plus et le public a répondu présent. Nous sommes curieux de suivre l’évolution du site au cours des prochaines années.

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LE CONTEXTE :

Mathildenhöhe, entre 1898 et 1908, est la résidence du grand-duc et mécène Ernst Ludwig. Il se passionne pour l’architecture et la colline devient rapidement le haut lieu du Jugendstil : l’Art nouveau allemand. Il fonde la première Colonie d’artistes qui réunit des architectes, des peintres et des sculpteurs comprenant Peter Berhens et Joseph Maria Olbrich deux architectes qui seront en charge de la construction de la majeure partie des édifices pérennes du site. La colline est aussi le lieu de grandes expositions où l’on bâtit des édifices temporaires, à la recherche de nouvelles formes. L’ornement y vit parallèlement ses dernières heures, avant de se faire balayer par les modernes. Au même moment, Hector Guimard réalisait ses 141 bouches de métro à Paris. C’est maintenant un quartier bourgeois, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, où quelques privilégiés habitent cette colline surplombée par la tour des mariages, le musée, les maisons d’architectes et l’université technique. Les coupoles dorées de la chapelle orthodoxe nous invitent au souvenir d’un passé glorieux, où les tsars russes venaient y cueillir leurs princesses allemandes.

PRÉLUDE

Au mois de janvier et de mars 2014, quelques membres de chaque collectif étaient invités et réunis à Darmstadt pour préparer le projet de l’été et visiter le jardin de Mathildenhöhe et ses environs. C’était l’occasion pour la plupart d’entre nous de nous rencontrer pour la première fois, d’échanger autour d’une table, de rencontrer les habitants/associations et d’amorcer le travail de réflexion sur le site. Comment procède t-on ? Distribution des rôles. Chaque équipe devait s’occuper d’une partie du programme. Hall principal, masterplan, café/cuisine, atelier, cabanes, kiosque d’information.

LE JARDIN EN FRICHE / LE BALTO

L’atelier Le Balto a travaillé à l’échelle de la parcelle. À grands coups de sécateurs et d’huile de coude, le trio de paysagistes-jardiniers franco-berlinois ont taillé la ronce et le sous-bois pour établir le plan d’organisation du jardin et relier les différents sites de construction. Ce qu’ils cherchaient : accompagner la transformation d’un lieu en préservant son capital végétal et ses qualités intrinsèques. Ça ne serait ni un jardin, ni un parc, ni un espace public ! Leur présence dans le projet rappelait des questions essentielles sur l’aménagement du territoire et la richesse créée par la multitude de regards. Comment construit-on la ville ensemble ? Comment sortir de nos champs de compétences ?

LES ÉQUIPES / LES PROGRAMMES :

1/ UMSCHICHTEN & M7RED / LE KIOSQUE INFO

Le collectif de Stuttgart accompagné de l’argentin Mauricio Corbalan de M7red et d’une quinzaine d’étudiants, étaient en charge de la construction d’un pont/information permettant l’accès au jardin et un rôle explicatif du projet pour le public. Ils fondent leur travail sur le pre-cycling : pre-cyclage au lieu du re-cyclage. Toute la structure de cette installation a été faite à partir de pièces « prêtées » gracieusement : éléments de voirie, rack de rangement de grandes surfaces, sangles, etc. À condition qu’elles soient rendues à leurs fournisseurs en l’état. C’est-à-dire qu’il ne faut ni couper, ni percer, ni modifier, ni abîmer. Les éléments sont laissés comme au premier jour et donc réutilisables pour leur fonction originelle. Le défi structurel et esthétique a demandé beaucoup de temps de conception, de tests, d’expérimentation pour franchir ces quelques mètres à l’aide d’assemblages réversibles et démontables.

2/ ORIZZONTALE / LES CABANES

Le collectif italien basé à Rome a construit ces cabanes pour héberger les futurs utilisateurs du jardin dans le cadre de résidences, festivals et évènements à venir. Ces petites unités d’habitation, suspendues dans les arbres, reliées par des passerelles, ressemblaient à des modules spatiaux qui auraient atterri dans le jardin. De quoi dormir sur place, la tête dans les arbres. La partie basse se voulait comme un espace collectif de rencontre. Chaque capsule était bardée avec différents matériaux récupérés sur place : tuyaux, feuilles métalliques et chutes de bois. Leur structuration collective possède de grandes similitudes avec le Collectif Etc : dans sa genèse, dans son mode de gestion jusque dans ses formes produites, nos routes se recroiseront sûrement. Ici se trouve la publication de leur projet sur leur site web.

3/ CONSTRUCTLAB & ATELIER BOW WOW / LE HALL PRINCIPAL

Constructlab et Atelier Bow Wow ont collaboré sur la conception et la construction du hall principal. Il devait pouvoir accueillir tout type d’évènements : conférences, projections, concerts, etc. La structure avait pour vocation de rester plus longtemps que les autres, c’était l’élément central du parc. Tout le mobilier a été conçu et réalisé sur place avec les étudiants par l’équipe de Constructlab grâce à un partenariat avec l’entreprise Thonet qui leur a permis de travailler avec du bois cintrée dans leurs étuves. Pour les détails techniques, la structure a été faite à partir d’un nouveau type de lamellé-collé en cours d’étude, découpée à la machine numérique et assemblée comme une puzzle géant sur place.

4/ MARTIN KALTWASSER / L’ATELIER

Martin, architecte basé à Berlin, était en charge de l’espace Atelier pouvant accueillir des séances de travail en groupe, atelier de bricolage, etc. Il questionne régulièrement la logique de consommation dans laquelle nous évoluons, avec une pratique à mi-chemin entre architecture et art. Détournement, humour, provocation. Son concept a été de bâtir un espace-atelier à partir de pièces de voitures, démantelées sur place à grands coups de disqueuse et de pied-de-biche, imbriquées dans une charpente en bois. La destruction/construction était mise en scène. Gerbes d’étincelles, bruits métalliques, odeur d’essence et huile moteur. Sa démarche pose des questions intéressantes sur le rôle de l’architecte, sa redéfinition dans la société contemporaine. A la manière d’une œuvre d’art ou d’un artiste, la proposition de Martin placée dans le jardin met directement l’habitant en face de problématiques et d’enjeux sociétaux réels.

SYMPOSIUM

Voici le programme des conférences et débats qui ont eu lieu à Mathildenhöhe pendant le temps de construction. Certains débats étaient organisés sous forme de rencontre entre 2 entités comme par exemple le Collectif Etc et Dennis Crompton de Archigram ou Studio Umschichten et M7red. S’en est suivi un symposium de 2 jours à la fin du grand chantier sur le thème de la ville comme territoire d’actions, les nouveaux lieux collectifs et les stratégies urbaines à mettre en œuvre. Le processus de fabrication comme outil de discussion et d’aménagement, l’auto-construction de la ville, la culture comme moteur de développement de la ville, etc. Voici la liste des invités, avec notamment Marjetica Potjrc, Ana Mendez de Andes, Peter Fattinger, Bernd Kniess… Et un lien vers le calendrier complet du projet.

 

Voici une galerie complète des photos du projet
Crédit photos Kristof Lemp
Crédit graphisme Gonzague Lacombe.

REMERCIEMENTS

Nous tenons à remercier l’équipe organisatrice et tout particulièrement Jan, Olga, Mareike, Francesca, Inari, les autres collectifs présents, heureuses et passionnantes rencontres : Martin, les verticales, Gonzague, Alex, l’incontournable Manu, Sam, Patrick, Yoshi le showman, la ferme de Darmstadt et particulièrement Guenter Franke, les participants du symposium pour leurs expériences inspirantes, tous les étudiants de la summer school, Paul Matet pour avoir déclenché le projet, et tous ceux qui sont passés nous rencontrer pour discuter échanger et partager de bons moments…

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