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« Des architectes ordinaires »

By 03 novembre 2012mars 25th, 2014point de vue

Texte du Collectif Etc publié dans AlterArchitectures, Manifesto, ouvrage collectif sous la direction de Thierry Paquot, Yvette Masson-Zanussi et Marco Stathopoulos, éditions Infolio, Octobre 2012. Avec Chris Younès, Thierry Paquot, Alberto Magnaghi, Serge Latouche, Lucien Kroll, Winy Maas, Patrick Bouchain, Bart Lootsma, Dus, Supertanker, Christian Reder, Wonderland…

En savoir plus : http://www.efap-fepa.eu/index.php?option=com_flexicontent&view=items&cid=3%3Adocuments&id=800%3Aalterarchitectures-efap&lang=fr

DES ARCHITECTES ORDINAIRES.

Crise économique, crise sociale, crise de la démocratie, crise énergétique, crise de l’éducation, crise du logement… Nous sommes aujourd’hui entrés dans une situation de crise généralisée, globale. Et c’est peut-être notre meilleure chance !

Nous, ce sont les gens ordinaires.
Qui habitons la ville. Ou à la campagne, quelle différence… Mais qui vivons en société, avec d’autres.

Cela signifie que tous nos actes se doivent d’être pensés comme des actes politiques, au sens où l’on doit en considérer les effets collatéraux induits. Un geste du quotidien – acheter une tomate ! – peut-être porteur de revendications sociales, économiques et écologiques. La capacité à changer le monde est à la portée de tous.

Alors la question des échelles s’efface. Nous devons re-découvrir nos villes, nous ré-approprier nos quartiers, nos rues et nos places, et ré-apprendre le « vivre-ensemble ». Parler à son voisin, à son épicier, ou à un inconnu doit se faire en toute simplicité. Descendre une chaise pour s’installer en bas de son logement doit re-devenir une banalité. Re-devenir acteur de son quartier ou de sa ville, et s’y impliquer.

Et, pour garder la fraicheur de la vie, ces actes doivent être porteurs d’optimisme. Ne faisons pas «contre», mais «pour». Ne faisons pas «sans», mais «avec». Cherchons à atteindre un idéal collectif, et ancrons, dans le sol, notre utopie.

Parfois, nous, gens ordinaires, sommes architectes.
Qui travaillons en ville. Ou à la campagne, quelle différence… Mais qui exerçons en société, avec d’autres.

Cela nous donne une certaine responsabilité, un peu particulière. Nous avons la charge, ou le plaisir, de concevoir des espaces de vie, de rencontres, d’échanges. Nous avons la possibilité de donner un cadre, un paysage, à la société dans laquelle nous vivons. La possibilité de proposer des conditions d’émergence physique à des désirs collectifs.

Nous sommes arrivés à une situation étonnante : l’impérative participation des habitants à la fabrique de leur ville est actée, inscrite dans des textes de loi ! Ne devrions nous pas plutôt nous poser la question de savoir comment nous, architectes, pouvons participer à la vie de la société, comment nous pouvons nous mettre au service de nos concitoyens. Et comment, avec nos propres outils, nous pouvons contribuer à une construction collective.

Alors il convient de se poser les justes questions, et se demander quelle éthique, quelle ligne de vie, autrement dit quels projets individuel et collectif, nous défendons. Qu’est-ce que notre réalisation implique. Qu’est-ce que cela génère. Et de ré-interroger toutes les étapes du processus.

Prenons bien le temps d’interroger la commande publique. Qui a défini ses modalités ? Cette personne ou ce groupe sont-ils légitimes ? Quel projet politique est porté par cette commande ? Et avant même de produire une esquisse d’architecture, assurons-nous de comprendre le système de gouvernance dans lequel nous sommes pour pouvoir, le cas échéant, le repenser.  Nécessité alors de savoir être force de proposition afin d’inverser les hiérarchies, de bousculer les codes établis. Concevons collectivement et assumons une flexibilité, une souplesse, dans les processus mis en place. Transgresser les normes lorsque c’est utile pour nourrir un projet – de vie. Faire un pas de coté.

Interrogeons aussi le financement des projets. D’où provient l’argent ? N’hésitons pas à ré-interroger le système économique et sa complexité. Interroger les économies de projet c’est développer l’ingéniosité. Repenser le jeu des acteurs, les transversalités des compétences et les règles en vigueur. Formuler des alternatives et les expérimenter.

Et ainsi de suite à chaque étape, à chaque parole, à chaque envie.

Et de temps en temps, nous, les architectes, construisons des espaces publics.
Nous les construisons en ville. Ou à la campagne, quelle différence… Mais nous les fabriquons en société, avec d’autres.

Le temps du chantier, cet état créatif où tout se met en branle, devient un temps privilégié. Cette étape de modification d’un paysage devient un temps des possibles. Exploitons-le, et ouvrons les chantiers !

Ouvrons-les même avant qu’ils ne commencent. Servons-nous de ces futurs évènements pour mobiliser, pour rassembler et donc pour réévaluer. Par le bouche à oreilles, par la rumeur, par des parades, par des performances artistiques, par le mythe…

Qu’on les ouvre et qu’ils deviennent des lieux d’émergences de nouveaux liens entre les hommes. Qu’ils suscitent le débat. Qu’ils servent de support à un apprentissage commun, à une éducation populaire, et soient le lit d’une culture collective. Qu’ils soient le prétexte à des rencontres et à des échanges de savoirs et de compétences. Qu’ils soient des lieux d’auto-formation, où les codes tombent et où s’effacent les traces de l’appartenance sociale. L’ingénieur a surement autant à apprendre d’un maçon que l’inverse, un avocat d’un agriculteur, un médecin d’un électricien…

Qu’ils soient des lieux festifs. Que l’on y mêle les cultures, et que des échanges se produisent. Que l’on y mange, que l’on y joue de la musique, que l’on y danse et que l’on y rit. Que les festivités servent à soulever de nouvelles questions et peut-être apporter de nouvelles réponses.

Ouvrons-les et prolongeons-les. Ils seront appropriés plus généreusement. Plus respectés. Et pourront peut-être redevenir des espaces de démocratie, et servir ainsi à la ré-inventer.

Ne cherchons pas à achever les villes. Elles en mourraient. Gardons les en mouvement. Et en chantier. Repensons les temporalités de projet, et questionnons sans cesse nos cités. Attardons-nous sur les processus, plus que sur les finalités, car ils sont toujours ajustables, toujours négociables.

Mutualisons les forces vives pour construire ensemble, organisons-nous collectivement, nourrissons-nous les uns des autres pour mieux vivre l’un avec l’autre, et retrouvons l’essence de notre besoin de vivre en société : la convivialité.

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