Du 04 au 17 juin 2012, dans le cadre du Détour de France, le Collectif Etc a réalisé en collaboration étroite avec les graphistes du Fabricatoire un chantier ouvert à Rennes, dans le quartier du Blosne, sur la place de Prague.

LE QUARTIER DU BLOSNE EN PLEINE RÉNOVATION URBAINE.

Le quartier du Blosne à Rennes se prépare en ce moment à subir des transformations radicales : une opération de rénovation urbaine est en cours et vise à remodeler le visage de ce quartier classé Zone Urbaine Sensible dans les quinze années à venir. Une démarche de concertation novatrice est menée pour la Ville de Rennes par l’Institut d’Aménagement et d’Urbanisme de Rennes et l’AUDIAR. Cette concertation cherche à mettre en synergie les habitants actuels et futurs du quartier, les aménageurs, les urbanistes, les paysagistes, les architectes, les techniciens, les associations, les élus et toutes les entités susceptibles d’être intéressées par le projet afin de dialoguer sur les besoins et les envies pour construire ensemble le Blosne de demain. La première phase du projet concerne l’îlot Prague-Volga, compris entre le boulevard de Yougoslavie, l’avenue de Pologne et le boulevard de Bulgarie.

Dans ce contexte, nous avons proposé à la Ville de Rennes d’organiser un chantier ouvert de deux semaines, afin de réaliser des aménagements pour la place de Prague avec tous les acteurs locaux et d’abord avec les habitants. Les objectifs de cette intervention sont multiples : qualifier la place de Prague, définir ce qu’elle devrait être pour les années à venir, donner une réelle part de créativité aux riverains, proposer un support alternatif de concertation, toucher une population peu investie dans les processus de prise de décisions, faire prendre conscience que chacun peut être moteur des transformations de son cadre de vie.

Force de proposition pour le montage du projet, nous avons présenté une demande de financement auprès de la Politique de la Ville. Après validation par une commission CUCS, le budget a été dégagé d’une bourse de l’ANRU remportée par la Ville de Rennes pour sa bonne conduite de l’opération de rénovation urbaine du quartier.

PRISE DE CONTACT AVEC LE QUARTIER ET STRATÉGIE DE COMMUNICATION.

Appel à participation : Dès les premiers moments du projet, nous avons lancé un appel à participation, via notre blog, expliquant les enjeux du projet, son avancement, un début de calendrier… Vous pouvez y accéder en cliquant ici.

Des rencontres en amont du projet : Dans le but de commencer à mobiliser des habitants et des acteurs, une réunion de préparation du projet s’est tenue le 03 mai 2012 à côté de la place de Prague. Nous y avons présenté des propositions d’interventions, en introduisant la thématique du « bois enchanté », notre axe de réflexion pour le projet, pour recueillir des impressions et des idées ; nous avons aussi invité chacun à proposer des animations pour les deux semaines du chantier ouvert. Une trentaine de participants étaient présents, de nombreuses idées ont été échangées. Malheureusement, peu d’habitants étaient présents, la communication dans les halls d’immeuble n’ayant pas suffit à intéresser les gens. En revanche, de nombreux représentants d’associations ou d’institutions, ainsi que l’élu de quartier et adjoint au maire en charge de l’urbanisme, Frédéric Boursier, ont participé, se faisant les relais des informations auprès des habitants. Le compte rendu de la réunion est disponible au téléchargement ici.

Une résidence dans le quartier : Arrivés une semaine avant le début du chantier, nous avons pris nos appartements dans deux logements mis à disposition par les deux bailleurs sociaux de l’ilot : Archipel Habitat et Espacil. Logés dans deux des cinq tours encerclant la place de Prague, cette immersion in-situ a contribué à notre identification par les habitants et à nous familiariser avec le quartier, le vivre au quotidien, rencontrer divers acteurs et figures, participer aux fêtes des voisins…

Affichage : En amont des événements, des affiches étaient réalisées en sérigraphie, et apposées aux alentours de la place, dans les halls d’immeubles mais aussi dans les différents lieux clefs du quartier, comme la station de métro, les centres culturels ou les centres commerciaux du quartier.

Tableau évolutif : Lors des premiers jours de chantier, nous avons mis en place un tableau en bois, dont le texte était changé tous les jours, afin d’annoncer le programme de la journée.

Réseaux sociaux : Afin de compléter le dispositif de communication, mais aussi afin d’étendre à un territoire plus large les annonces d’événements, les réseaux sociaux tels que Facebook ou Twitter ont été utilisés presque quotidiennement.

LE BOIS ENCHANTÉ.

Nos premières impressions sur la place nous ont orienté sur l’idée d’un bois, que nous souhaitions « ré-enchanter » : partir des caractéristiques de la place (le couvert végétal, l’encerclement de l’espace boisé), et sublimer leurs défauts (le froid, l’absence de lumière, le vent) pour en faire un lieu attractif à l’identité forte. Deux axes ont été développés : le premier concerne un travail sur la lisière ou l’orée, et le second la construction d’une cabane au milieu du bois, image symbolique de l’abri et du jeu des enfants. Chacun était invité à participer à la réalisation du projet, le chantier étant un lieu ouvert, où les outils sont mis à disposition de qui souhaite s’impliquer.

AVANT APRES

La lisière : Deux structures, jouant sur des mouvements topographiques, ont été réalisées de part et d’autre du bois. On a joué ici sur une ré-interprétation des éléments de mobiliers, en construisant des éléments capables se servir d’assise tout en ayant un caractère ludique, notamment en se raccrochant par moment au niveau du sol. Afin de compléter l’idée de lisière, un travail graphique, à la peinture blanche, a été réalisé au sol : de nombreux triangles y ont été peints, interprétation géométrique d’un sol végétal de sous-bois.

La cabane au milieu des bois : L’imaginaire du bois enchanté se devait, à notre avis, d’être incarné par la réalisation d’une cabane, au milieu de cette forêt. Ouverte sur une terrasse surélevée pour servir d’assise, elle crée une centralité disposée à recevoir des usages libres.

Des tables de pique-nique : Au milieu du bois, des tables ont été fabriquées, permettant chacune de recevoir une dizaine de personnes. Nous avons choisi de ne pas les ancrer dans le sol : elles sont mobile afin d’obtenir plusieurs dispositions possible.

CHANTIER OUVERT, AXE 1 : DES ATELIERS DE CRÉATION AU QUOTiDIEN.

Toute la journée, durant les deux semaines de l’intervention, le chantier était ouvert. En plus des ateliers de menuiserie, d’autres ont été mis en place afin de stimuler la créativité de chacun :

Des ateliers d’écriture de fables et doléances : Les gens pouvaient d’abord confectionner des masques en papier représentant des animaux de la forêt. Autour de la machine à écrire de Lucile Froitier (étudiante en philosophie) installée sur le chantier, on écrivait ensemble une fable sur le thème du bois enchanté et ses créatures. Ainsi on parlait des aventures de construction, d’une cabane, de vivre ensemble, de légendes du haut de la colline, etc. Mais parfois la frontière est mince entre imaginaire et réalité, et les fables se transforment en mises en scènes photographiques de rêves et de besoins pour le quartier.

Un atelier d’initiation à la sérigraphie : géré par les graphistes du collectif Le Fabricatoire (Quentin Bodin, Jil Daniel, Luc De Fouquet, Lucas Meyer ) installé sur notre cuisine mobile, pour apprendre à qui le souhaitait cette technique d’imprimerie


Des ateliers en parallèle avec divers groupes jeune public dans lesquels les gens étaient invités à fabriquer des chaises et des masques à partir des chutes de bois du chantier.

Une signalétique pour la place de Prague : Plusieurs personnes pendant le chantier nous ont signalé la difficulté à se repérer entre les 5 tours et à trouver la bonne adresse. Ainsi nous avons mis en place une signalétique adaptée sur les immeubles autour du bois enchanté, en accord avec les bailleurs. Cette identité se compose de la typographie SuperPraha créée spécialement à l’occasion du chantier par Thibault Proux, et de signes graphiques retrouvés sur la place, des triangles de différentes proportions … Elle marque un lien entre ces 5 immeubles, les fait appartenir à un territoire commun dont le centre est la place de Prague.

CHANTIER OUVERT, AXE 2 : DES ÉVÉNEMENTS TOUT AU LONG DU CHANTIER.

Dans l’idée du chantier ouvert, outre la construction à proprement parler du projet pendant laquelle ceux qui souhaitent s’emparer du projet peuvent le faire, nous avons organisé chaque jour une série d’événements sur le lieu même du chantier, en partenariat avec des associations locales (Parasol, LEPOK, L’âge de la tortue, CPB Blosne, Collectif des Hautes-Ourmes, Réussite Urbaine, l’Élaboratoire, L’APPARTH, Association VMC…)

Des soirées d’échange et de partage d’expérience :

Lors de la première, « Créer un jardin partagé, des idées pour des voisins solidaires », l’association Vert le Jardin est venue de Brest pour raconter ses dix années d’expériences d’accompagnement de mise en place de jardin, à l’invitation de Parasol.
La seconde, « Rendre la ville solidaire, c’est l’affaire de tous » était un partage d’expériences de montage de projets solidaires. Quatre intervenants ont présenté leurs démarches : le collectif des Hautes Ourmes, expériences d’habitats en auto-promotion en place depuis une quarantaine d’années ; Parasol, qui accompagne des démarches d’habitat groupé ; Réussite Urbaine, au service des jeunes actifs des banlieues, et enfin l’Élaboratoire, lieu de vie et de production artistique libre.
La troisième, « Le temps des villes : quelles temporalités pour les espaces partagés », était un débat ouvert où Frédéric Bourcier (adjoint au maire de Rennes en charge de l’urbanisme et élu de quartier du Blosne) et Gilbert Gautier (président de l’IUAR) ont discuté la stratégie mise en place dans le quartier du Blosne.

Des soirées festives :

Le vendredi soir, un couscous a été préparé par l’association l’APPARTH, qui a servi près de 80 couverts le temps de la soirée. Une démonstration de « traceurs » à d’ailleurs eu lieu, l’argent recolté servant à financer cette jeune association pour un échange de quelques jours avec des homologues chinois. Le weekend suivant, le Cercle Paul Bert du Blosne a organisé un tournoi de Jorkyball sur la place de Prague, à destination des jeunes adolescents.
Les deux samedi soirs, des concerts ont eu lieu sur le chantier. D’abord les percussionnistes antillais de Ti Madras, qui ont enflammé la terrasse tout juste terminée, et la semaine suivante de la musique cubaine (Trio Danzon) et un DJ rock (Johnny Rigolboch) pour fêter la fin chantier.

UNE ÉDITION AUGMENTABLE.

Lors du dernier jour du chantier, les graphistes du Fabricatoire ont rassemblé des photos, les textes des ateliers d’écriture, les affiches sérigraphiées, des textes que nous avions écrit et ceux de Lucile Froitier, des citations et les différents numéros de la gazette. Chacun pouvait, selon ses envies, éditer sa propre publication. En prenant les feuillets souhaités, en composant suivant l’ordre désiré, en rivetant l’ensemble, chacun pouvait repartir avec sa propre version retraçant l’histoire du chantier.

La publication finale est téléchargeable ici.
Un fichier à imprimer chez soi à également été prévu ici. À vous de choisir la couleur des papiers et l’ordre des pages ! (clic droit -> télécharger le fichier lié)

UNE PERSPECTIVE POUR DES PLACES EN MOUVEMENT.
Inscrire ce projet dans une démarche plus large.

Il est couramment admis, dans nos sociétés gréco-romaines, que si l’on construit, c’est pour de bon. Le moindre édifice doit pouvoir rester en place pour des siècles et des siècles. L’imaginaire du Parthénon et des arènes de Rome reste un référentiel commun, partagé. Or le paysagiste Gilles Clément fait remarquer à juste titre qu’à la livraison d’un chantier, la seule chose qui puisse arriver à un bâtiment, c’est de se dégrader. Il en est tout autre pour le paysage, dont la livraison marque le début de son épanouissement. Il existe donc une réelle dichotomie dans la livraison d’un espace public, avec le végétal qui prend forme et le dur qui se dégrade.

Peut être pouvons-nous imaginer, par exemple pour la place de Prague, quelque chose qui se construise au fur et à mesure dans le temps. Par de l’ajout, de la modification ou de la transformation. Que cette place soit un chantier continu. Pas dans le sens où il doit toujours y avoir des outils sur place pour construire, mais dans le sens où l’on pourrait instaurer une régularité dans les modifications à apporter.

Par exemple, instituer qu’à chaque printemps, on ré-imagine cette place. Elle serait alors utilisée à son maximum pendant les beaux jours d’été. Et cela pourrait devenir une sorte de rituel dans le quartier, donnant lieu à une fête de voisinage, comme la fête des voisins. À Marseille, dans le quartier du Panier, il existe un évènement similaire, même si il ne donne pas lieu à des modification physiques du paysage : toute l’année, les écoles, les centres sociaux, et plus généralement les différents acteurs associatifs du quartier se préparent à cet événement. Ils y participent tous. À New-York, le MoMA organise dans les locaux d’une ancienne Primary School désaffectée, chaque année, une intervention dans la cour publique ; c’est un évènement qui va au delà de la vie de quartier mais l’organisation annuelle donne une idée des possibles.

D’un point de vue financier, on peut imaginer que – si elle existe – la somme qui devrait être consacrée à la réfection de cette place dans le cadre du projet urbain ne soit pas utilisée d’un seul coup mais qu’elle soit plutôt étalée dans le temps, et qu’elle serve à ces actions « d’acuponcture saisonnière » . Il existe aussi, dans certains états du Brésil, des formes de budgets participatifs desquels on peut s’inspirer. Il y aurait certainement un intérêt économique pour le développement de la zone dans les retombées de ces temps forts. L’intérêt est d’insister et de renouveler ces temps de chantiers, qui impliquent des moments de ré-apprentissage du vivre ensemble, et donc redonner au citoyen son rôle d’acteur de son quartier.

L’intérêt pour les collectivités d’engager de type de démarche et de soutenir ces dynamiques est multiple. Économiquement d’abord, car, de manière très pragmatique, un espace autogéré est moins coûteux à entretenir qu’un espace en régie. Mais surtout socialement, et donc politiquement, car ils permettent de développer des solidarités et des renforcer l’implication des habitants dans la gestion et la construction gloable de leur cadre de vie. L’idée est de donner à chacun la possibilité de se positionner en porteur de projets.

L’objectif est donc prolonger ces moments de mobilisation collective, qui permettent de générer ou de conforter du lien entre les gens, de réactiver des lieux, et d’y enclencher des possibles. Cette démarche, applicable sur la place de Prague, trouverait un écho par la suite sur la multitude des espaces partagés présents sur le quartier du Blosne, dont les potentiels humains et urbains sont nombreux. Et transformerait ainsi le quartier en véritable laboratoire de fabrique citoyenne de la ville.

Vous pouvez télécharger ici le modèle 3D de l’installation réalisée en bois. Vous êtes invités à utiliser ce fichier comme bon vous semble. Réagissez, modifiez, construisez et n’hésitez pas à nous tenir au courant. Ce fichier est sous licence Creative Commons BY-NC-SA 3.0

Remerciements : Le Collectif Etc remercie toutes les personnes impliquées dans la projet, à l’échelle individuelle ou au nom d’une institution, et en particulier Frédéric Bourcier et Sarah Ansari (Ville de Rennes), Gilbert Gautier, Estelle et Flavie (IUAR), Quentin Bodin, Jil Daniel, Luc De Fouquet, Lucas Meyer (Le Fabricatoire), Lucile Froitier (indépendante), Christophe Orvoen et Aymeric Sinquin (Direction de quartier), Samuel (Parasol et LEPOK), Nicolas (L’âge de la Tortue), Bruno Séguillon (Archipel Habitat), Franck Pluche et Marion Contreras (Espacil), Ferdinand (CPB Blosne), Fanfan (APPARTH), l’Association VMC, Traits d’Union, Ouest Parkour, l’ÉESAB, l’ANRU, et chacun des participants au chantier, aux ateliers, aux évènements…