En 2015, nous avions mené de premières actions sur la place de la Halle Puget dans le quartier Belsunce à Marseille. Après une série d’ateliers, nous avions construit des équipements éphémères autour des bacs plantés qui cernaient alors la place. S’en étaient suivies une intensification des usages existants et une occupation nouvelle par les étudiant·e·s de la faculté attenante. Sensibles à la dynamique enclenchée, la Politique de la Ville et la Mairie de secteur se sont associées pour financer une nouvelle phase d’interventions sur la place.
La demande était de réaliser un aménagement transitoire pour une durée de trois ans. Ce laps de temps devait permettre d’amorcer un projet aménagement « en dur » prévu dans le cadre de la rénovation urbaine Grand Centre Ville.
Comme pour les actions précédentes, le projet s’est déroulé en collaboration avec l’association les Têtes de l’Art, dans le cadre de leur dispositif Place à l’Art.

REPRENDRE LA HALLE
Tandis que les usager·e·s pointaient du doigt le manque d’ombre sur la place, tout un espace abrité du soleil par une grande halle ne pouvait pas être investi, à cause des fientes de quantité de pigeons perchés sur la charpente de l’édifice.
Nous avons donc fait des démarches pour que la mairie installe un filet sous la toiture. Et peu de temps après avoir obtenu l’accord de l’Architecte des Bâtiments de France pour intervenir sur l’édifice classé, la Halle Puget reprenait son statut et la voie était libre pour déployer de nouveaux usages sur cette partie de la place.

Cette possibilité nouvelle de jouir à la fois d’un plateau ensoleillé et d’un préau ombragé, nous a mis sur la piste d’un aménagement mobile que l’on pourrait déplacer d’un côté ou de l’autre au gré des désirs et des saisons.
Nous avons partitionné l’installation en un ensemble de modules. De petits monolithes à hauteur variables en écho aux niveaux de plateaux de la place et aux bases des colonnes de la halle. D’autre part, la composition très tramée de la place renforçait notre intuition d’y déplacer des pièces comme sur un échiquier.

Au plan masse figé, nous avons donc privilégié un dispositif souple qui permette différentes combinaisons entre les modules et une variété de dispositions sur la place. Dans l’idée, des sessions de déplacements seraient régulièrement organisée, pour ajuster l’aménagement aux saisons et aux besoins des usager·e·s.
Enfin, si avec ce principe d’agrégats de modules permettrait d’investir amplement la place, le budget alloué pour cette étape nous a permis de commencer par la construction d’une trentaine d’éléments. Le chantier s’est déroulé en deux épisodes, offrant l’occasion d’un réajustement intermédiaire, avec une première moitié des modules construite à l’automne 2016 et la seconde au printemps 2017.

EPISODE 1 : LES MODULES DE PISÉ

Après avoir fait le lien entre la forme de l’aménagement et la morphologie de la place, nous avons cherché à dialoguer avec sa matérialité minérale. Sur un précédent projet de maison des chantiers, Pauline Sémon, nous avait fait une belle démonstration de construction de mobilier en terre crue, appelé pisé. Nous avons donc eu envie de remettre en jeu ce procédé pour la place Puget.
Pauline a occupé le rôle de bureau d’étude en apportant son savoir-faire à la conception puis à la construction du projet. À ses côtés nous avons été initiés à la mise en oeuvre de la terre, sans emploi d’adjuvants et avec l’intégration de lits de chaux dans les angles pour limiter le phénomène d’érosion. Réjouis par ses apprentissages, il semble après coup que nous ayons un peu minimisé les contraintes liées aux usages intenses sur la place.

Composition et mise en oeuvre du pisé

Illustrations réalisées par Pauline Sémon

Principe de construction
Pour être facilement déplaçables, nous avons basé les modules sur des socles métalliques ajourés, pour pouvoir passer les pales d’un transpalette et fermés par des
 parois vissées pour éviter l’accumulation de déchets en sous-face.Après une semaine de fabrication des socles en métal dans nos ateliers dans le quartier d’Arenc, la construction en terre a débuté sur la place. Sur dix jours, nous avons mené en parallèle des ateliers avec les publics et un chantier éducatif avec des jeunes, habitués de la place et mobilisés par le Contact Club. Des membres du collectif bordelais Cancan et du collectif lyonnais Pourquoi pas ?! ainsi que quelques bénévoles, sont venus nous prêter main forte.

Nous avons compacté la terre à la main, parce que le sous-sol creux de la place et la présence d’un voisinage proche ne nous permettait pas d’employer un compresseur pneumatique. C’est donc à grand coups de pisoirs et avec un bon passage de relais, que nous avons patiemment empilé les couches de terre et de chaux. Et puis les efforts étaient bien récompensés à l’apparition de belles parois marbrées au moment du démoulage.

En parallèle, Jihane El Meddeb, plasticienne et collaboratrice historique de Place à l’Art, à qui nous avons proposé d’associer le graphiste Pierre Tandille et le duo d’artistes Marion Molle et Ronan Riou, menaient des ateliers à destination des enfants présents sur la place. L’objectif était de créer un imaginaire commun autour des constructions. La forme carrée des mobiliers leur a donné l’idée d’une bande dessinée où chaque plateau serait une case d’une histoire racontée par les enfants. 

Au long de différentes étapes d’écriture, de dessin, de gravure puis de peinture, les enfants ont pu s’emparer de ces nouveaux objets installés sur la place.

LE MYTHE DE SISYPHE
Peu après la fin du chantier, la pluie s’est abattue pendant des jours sur les modules, alors que plusieurs semaines de séchage étaient nécessaires pour solidifier totalement le pisé. La terre devenue humide et tendre à souhait, les usages ont repris leur cours sur la place. Très sollicitées, les parois ont commencé à se déliter, jusqu’à peu à peu, s’arracher dans les angles.
Nous sommes retournés sur place pour réparer les dommages, en colmatant les creux avec des petites boules de terre humidifiée. Une tâche minutieuse, assis·e·s au chevet des blocs de terre, qui nous a semblé tout aussi appréciable que fastidieuse.
Evidemment, après notre passage, les tirs de ballon et les slides de skate ont continué à effriter le pisé. Plus étonnant encore, et nous ne l’avons découvert que plus tard, les services de nettoyage de la Ville, aspergeaient généreusement le pied des modules avec un jet d’eau à haute pression.  À leur décharge, ils n’avaient pas été informés par la mairie de notre intervention ni de la façon adéquate d’entretenir les modules.
Les réparations ont pris un air d’éternel recommencement.
En ultime recours nous avons appliqué un enduit pour essayer de stopper l’érosion des parois. En vain. Nous avons fait nos adieux au pisé à grand coups de marteau piqueur, et recouvert les parois avec du bois.

EPISODE 2 :  LES MODULES REHAUSSÉS

Dans la première phase, la mise en oeuvre par couches successives nous avait permis de jouer sur des variations de hauteurs et quelques pentes, pour permettre des usages libres. Après quelques mois de pratique, les usager.e.s et nos partenaires sur place, nous avaient encouragés à réaliser des formes moins abstraites pour permettre, par exemple, un meilleur confort d’assise et des usages plus ludiques.
Nous avons donc fait évoluer le principe initial en surmontant les monolithes par des rehausses à même d’emmener une qualité d’usage supplémentaire.
Nous avons mené des ateliers sur la place quelques jours avant le chantier pour concevoir les formes directement avec les publics. Attablés autour d’une maquette du terrain, petits et grands se sont prêtés à un jeu simple : d’abord en dessin imaginer la destination d’un module (toboggan, barres de traction, fauteuil…), puis en maquette choisir la hauteur de la base en bois avant de sculpter une forme libre pour la réhausse. L’atelier s’est conclu par une exposition des propositions avec un grand vote pour choisir les modules qui seraient construits la semaine suivante.

Le chantier s’est lancé dans la foulée avec les maquettes en guise de plans d’exécution. Ça a été l’occasion d’un nouveau chantier éducatif avec des jeunes du Contact Club.
Sous la halle, différentes équipes se sont attelées à la construction et sur la place Jihane El Meddeb menait des ateliers pour définir différents scénarios d’installation sur la place.

Les derniers jours de constructions ont été rythmés par des micro-évènements pour tester plusieurs configurations : un terrain central pour un tournoi de foot, un salon de lecture pour la venue de la Bibliocyclette de Fotokino…

Enfin le chantier s’est conclu par une session d’installation des modules sur la place, faisant la synthèse des tests réalisés et des scénarios déterminé dans les ateliers.

Des mois après la fin du chantier, nous sommes toujours aussi impressionnés par l’intensité d’occupation de la place et le foisonnement d’usages sur les modules.
Ce chantier aura été notre première expérience d’aménagement transitoire à Marseille et nous sommes heureux que la Politique de la ville et les élus locaux montrent un intérêt grandissant pour ce type de démarches.
En revanche le cadre de mise en oeuvre n’est pas encore optimal : il était convenu que les modules soient cédés à la ville, pour que les services techniques prennent le relais sur leur entretien. Mais malgré les négociations de la Politique de la Ville et plusieurs promesses encourageantes de la part de plusieurs services gestionnaires, aucun n’a finalement souhaité prendre en charge les constructions. Peut-être par manque de soutien des élus ? Ou peut-être que la complexité des méandres administratifs, dans un contexte de récente métropolisation des services, a eu raison des bonnes volontés en place.
L’installation des modules sur la place est donc toujours du ressort d’une convention d’occupation temporaire qui laisse reposer la responsabilité de l’aménagement sur l’association des Têtes de l’Art et la Politique de la Ville. Celle-ci maintient une sorte de veille sur l’entretien même si ce n’est pas son rôle, elle a par exemple fait intervenir une association d’insertion pour nettoyer repeindre les modules.

Une forme d’autogestion s’est donc instaurée sur la place. Les modules sont fréquemment déplacés à la force des bras, pour ajuster l’aménagement, lorsque des surviennent des conflits d’usages ou simplement au gré de besoins spontanés.
Une publication vient d’être réalisée par le Cabanon Vertical en lien avec la Politique de la Ville en vue de faciliter ce type de démarches, nous vous invitons à la découvrir ici : Les aménagements urbains transitoires, enjeux et guide pratique.  

Merci
Merci à Cendrine Chanut, Jihane El Meddeb, Jessie Linton et Sam Khebizi des Têtes de l’Art
Merci à Anne Guilmin et Gabrielle Rastoin de la Politique de la Ville
Merci à toute l’équipe de jeunes du Contact Club et aux éducateurs,
Merci aux habitant·e·s du quartier et aux enfants qui ont activement participé aux choix de conception,
Merci à Pauline Sémon et Benoît du collectif Pourquoi pas ?!,
Merci aux graphistes et artistes Pierre Tandille, Marion Molle et Ronan Riou,
Merci à Boris du collectif Cancan,
Et un grand MERCI à toutes celles et ceux venus nous prêter main forte sur le chantier.

Leave a Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.